(ce serait un premier morceau)
Il y avait comme une urgence en moi ce jour-là.
Orange, elle était. Je la ressentais de cette couleur-là, ne me demandez pas
d’expliquer pourquoi. Les talons de mes phrases étaient bien trop élevés, ils
s’écrasaient sur les pavés – je me disais, je mens. L’étalon de mes phrases
était trop mal élevé, il s’écrasait sans avancer, je me disais jument. J’avais
des choses à exprimer, à expirer. J’aurais aimé être inspirée, savoir comment
vous aspirer. Dans ma précipitation d’expression j’avais égaré l’intuition de
mon inspiration, je cherchais une occupation. Il faut trouver de l’air,
l’ajouter à l’emphase – je me disais, il faut bâtir des phrases. Nous sommes
sur terre, coupons les ailes, je pensai – les lettres deviendront des êtres, je
me servirai de femmes en guise de flamme, je songeai – on brûlera le temps qui
vacille à l’aide de cocktails enflamment nos pupilles, j’espérais. Sur un banc,
je m’assis, il devait être onze heures et demi. Une demoiselle à la jupe de
dentelle entra dans une cabine téléphonique. Je l’observai sans concentration
en rêvant d’une part de tarte à l’épaisse garniture de citron. Elle rougit au
fil de son cordon, la femme, au bout du fil ses joues hurlaient le triste
frisson. Bientôt, des larmes nagèrent la brasse coulée dans son cou dénudé. Je
me dis : la cabine va se remplir de son émotion, elle va finir par se
noyer de son propre désespoir, elle finira par couler comme un glaçon. Je me
dis : il faut la secourir, où peut-on dénicher un masque et un tubas, ce
n’est plus l’heure de rire, elle va mourir. Je me sentais un peu alarmé, je me
sentais tout à fait rassuré ; les phrases avaient cessé de m’échapper,
vous comprenez, j’avais quelqu’un à sauver, je me sentais occupé, j’étais
comblé. J’ai couru, très rapidement, j’avais les poils qui dansaient la polka
au gré au vent. Je n’avais plus de pensées à offrir, ce n’était plus la saison
– à défaut je concoctai un bouquet de sensations. Ca aussi je lui offrirai, je
lui offrirai et elle se dira, mais il est incroyable ce jeune homme là, pourquoi
pleurai-je déjà des gens existent dans le monde j’aime les immeubles qui
s’envolent et les peaux que l’on frôle, je me croyais seule mais c’est un
leurre dîtes monsieur je vous offre une boîte de petits beurres, point
d’interrogation. Mais c’est évidemment à cet instant là que mon téléphone
sonna. Une atroce sonnerie qui fait inévitablement sursauter et ferait se
briser un morceau de cristal dans un appartement vous savez, juste à l’entrée.
Un abominable appel en numéro privé, comment, un rendez-vous avec la banque,
là, maintenant ? dans une heure si je veux ? J’ai pensé : mais
je ne veux pas, une femme s’apprête à mourir devant moi, il me faut un masque
et tuba, je, comment, vous ne comprenez pas ? J’ai dis : Ah, non, là,
je suis débordée. On a du penser : Peu importe, nous sommes payés pour
vous voir, nous on s’en fiche, fiche à remplir très exactement, c’est tout ce
qui importe, combler le temps avec des petits numéro sur la feuille, au recto,
un autre rendez-vous n’importe quand, un autre soir, on veut vous voir. Je me
dis : Là, je dois absolument la sauver, après, peut-être qu’avec elle je
me marierai. Je dis : D’accord, plus tard si vous voulez. Je raccroche et
d’une tierce reprend ma mélodie du sauveur. Un masque, un tuba, dans la
quincaillerie il y en a. Entrée, sonnette, j’achète, l’argent, le ticket, le
froissé, la porte, sonnette, sortie, pavés. La femme est toujours dans sa
cabine et pleure de plus en plus belle, de plus en plus jolie. Je lui ai fais
signe de la main, le cygne était blanc il s’est mis à danser un bonjour
incertain. Elle n’a pas tourné le visage, elle n’a pas souri, elle n’a pas
sauté dans un nuage, elle ne s’est pas enfuie. Elle a raccroché, elle s’est
approchée – oh, c’est pour moi ? elle a dit sans s’étendre, d’une voix
tendre, et sans attendre elle a pris.